Depuis toujours, l’intime conviction constitue le cœur de la décision des jurés en cour d’assises. Chacun connaît cette formule solennelle prononcée avant leur délibération : « la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : » Avez-vous une intime conviction ? » (article 353 du code de procédure pénale)
Pour autant, cette solennité, qui met l’accent sur la liberté absolue du juré dans sa conviction, a été ébranlée par la réforme introduite par la loi du 11 août 2011 qui impose la motivation des arrêts d’assises.
Une nouvelle obligation de motivation
Depuis le 1er janvier 2012, les cours d’assises sont tenues de motiver leurs décisions de condamnation comme d’acquittement. Les motifs doivent être formulés dans une feuille de motivation rédigée par le président avec l’aide des jurés. Elle expose les considérations de droit et de fait qui fondent la décision.
L’objectif affiché est de renforcer la lisibilité de la justice pénale, en garantissant au justiciable la compréhension de la décision qui le concerne. Cette obligation de motivation répond également aux exigences posées par la Convention européenne des droits de l’homme (article 6), qui impose que toute décision judiciaire soit dûment motivée.
Quelles conséquences sur l’intime conviction ?
Certains ont vu dans cette réforme une atteinte à l’intime conviction des jurés, craignant que la nécessité de justifier une décision n’entraîne une sorte de standardisation ou de rationalisation excessive de leur rôle.
En réalité, la réforme n’a pas supprimé l’intime conviction. Celle-ci reste la base de la décision, mais elle est aujourd’hui complétée d’une exigence de transparence. Le juré ne vote pas « à l’instinct » : il est invité à exprimer les éléments du dossier ou les témoignages qui l’ont convaincu. Cela n’empêche pas une conviction personnelle, mais impose d’en démontrer la rationalité.
Cela peut être une opportunité : dans une société où les décisions judiciaires sont de plus en plus remises en question, la motivation renforce la légitimité des verdicts et leur acceptation sociale.
Ce que peut faire un avocat en cour d’assises
L’avocat pénaliste doit intégrer pleinement cette évolution. Il ne s’agit plus seulement de convaincre les jurés, mais de leur offrir des clefs de lecture du dossier qu’ils pourront utiliser dans la feuille de motivation. L’art de la plaidoirie ne disparaît pas : il s’affine, en ciblant les arguments susceptibles d’être repris et formalisés dans les motifs.
La mission de l’avocat d’assises est donc double : émouvoir, mais aussi armer. C’est dans cette dialectique que se joue désormais la stratégie de défense.
En somme, l’intime conviction n’a pas disparu. Elle s’est ajustée à une justice plus explicite. Pour les avocats et les justiciables, c’est à la fois un défi et un outil supplémentaire de protection.