Depuis le début de ma carrière d’avocat, plongé dans les procédures criminelles, j’ai toujours vu les psychologues utiliser le test de Rorschach. C’est un passage obligé, présenté comme un outil projectif incontournable. De mémoire, je crois n’avoir jamais vu un seul dossier sans ce fameux test. Au début, je faisais confiance, car je croyais en l’expert, en la science et en la justice. Je ne remettais pas en cause la crédibilité de cet outil, estimant que s’il était utilisé, c’est qu’il devait être valide.
Le Rorschach, un test sans fiabilité ?
Et puis, en défendant, j’ai compris. Défendre, c’est aussi refuser ce que l’on vous présente comme acquis. C’est poser la question du contradictoire partout, tout le temps. Pas par esprit de contradiction, mais parce qu’une justice juste, ça demande de la rigueur, et parfois, de la résistance. Progressivement, j’ai commencé à contester les conclusions des experts fondées sur le Rorschach.
En faisant quelques recherches, je suis tombé sur un article passionnant et inquiétant de Jacques Van Rillaer, professeur émérite de psychologie, qui démonte méthodiquement le test de Rorschach. Le titre ? Le test des taches d’encre : sa place ne serait-elle pas au musée ? Un bijou de lucidité.
En voici un résumé :
L’article retrace l’histoire du test de Rorschach, né au début du XXe siècle d’une intuition plus artistique que scientifique. Dès l’origine, les limites du test sont claires : manque de rigueur, influence de l’interprète, absence de standardisation. Pire encore, les analyses sont souvent fondées sur des symboliques freudiennes très personnelles, non validées scientifiquement.
Des études modernes montrent que deux experts peuvent analyser un même protocole et donner des diagnostics radicalement différents. Des cas d’erreurs manifestes sont documentés, jusqu’à l’affaire d’Outreau. Il en résulte que ce test pathologise à outrance, manque de fidélité, de validité, et n’a aucune utilité clinique réelle dans le cadre judiciaire. L’APA (The American Psychological Association) recommande désormais d’en exclure l’enseignement dans les universités. Précisions tout de même que l’APA est la principale organisation professionnelle de psychologues aux États-Unis et la plus grande association de psychologie au monde !
Pourquoi continue-t-on à l’utiliser en justice ?
Pourtant les psychologues continuent d’utiliser ce test quasi-systématiquement dans les expertises judiciaires en France. Pas pour évaluer l’imaginaire d’un poète mais pour apprécier la personnalité d’un accusé, d’un témoin, d’une victime et donc pour peser sur la culpabilité, sur la peine, sur le sort judiciaire d’un être humain. Ce qui me sidère …
On parle ici d’un outil sans fondement scientifique solide, mais utilisé dans des procès d’assises, dans des dossiers de viols, de meurtres, de violences, etc. Ce n’est plus un problème méthodologique, c’est une faute professionnelle.
Heureusement, j’ai le sentiment qu’une prise de conscience est en train d’émerger. Le Rorschach est de plus en plus contesté devant les juridictions. D’ailleurs, certains juges commencent à lever un sourcil devant ces pseudo-analyses. Gageons que cette contestation se propage. Qu’on cesse enfin d’habiller la poésie en science et que les experts qui tiennent encore à leurs planches à taches les accrochent dans leur salon … ou dans un musée.
Pour aller plus loin :
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🧠 Article critique complet : Jacques Van Rillaer, Science et pseudo-sciences, 2018
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